Les Jeux Olympiques 2024 s’accordent mal avec la présence d'enfants avec leurs parents dans la rue. Cela contrevient à l'idée que les touristes se font de la France "patrie des droits l'Homme" [1]. L’État a trouvé une solution qui lui semble respectueuse de la dignité des personnes : il envoie massivement les familles (sur)vivant dans la rue à Paris vers des SAS régionaux (au nombre de 10). Or, toutes les personnes orientées vers ces SAS ne sont pas hébergées de manière pérenne : plusieurs sont remises à la rue et se voient même notifier des obligations de quitter le territoire français assorties d’interdictions de retour sur le territoire français, alors qu'elles avaient acceptées de s'y rendre pour être hébergées (et non expulsées) [2].
L’ordonnance n°491761 rendue le 26 février 2024 par le juge des référés du Conseil d'État, qui est la première annulation en 2024 d’une ordonnance d’un juge de référés (en l’occurrence celui de Nice) en matière d'hébergement d'urgence, permet un rappel utile [3] de ce que doit être un hébergement d'urgence : pérenne, adapté et assorti d'un accompagnement social (obligation allègrement non respectée par l’État s’agissant des SAS régionaux donc).
Contexte :
Deux parents ont 3 filles mineures (5 mois, 3 et 4 ans). 1 souffre de plusieurs pathologies dont des crises d’épilepsie conduisant à plusieurs hospitalisations.
Une fin de prise de charge par le préfet des Alpes-Maritimes leur a été notifiée (sans aucune raison) pour le 31 janvier 2024.
Saisine du juge des référés du tribunal administratif de Nice :
Le juge des référés du tribunal administratif de Nice est saisi et rejette la requête :
1) en se fondant sur la saturation du dispositif d’hébergement d’urgence sociale dans le département des Alpes-Maritimes (aucun chiffre n'était versé par la préfecture) ;
2) en estimant que la situation de la famille, qui a bénéficié pendant plusieurs mois d’une mise à l’abri d’urgence, ne présentait pas un caractère prioritaire par rapport aux autres familles qui n’ont pu encore être mises à l’abri.
Saisine du juge des référés du Conseil d’État :
J'interjette appel de la décision devant le juge de référés du Conseil d’État pour les intérêts de la famille.
La famille se maintient dans l'hébergement et la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), autrement dit l'État, conclut au non-lieu à statuer pour ce motif et en soutenant que le préfet des Alpes-Maritimes n'a encore pris aucun acte exécutoire en vue de leur faire effectivement quitter les lieux.
Je soutiens que cela est parfaitement inopérant dès lors que, si la famille se maintient dans l'hébergement, la décision de fin de prise en charge est toujours d'actualité et par conséquent, cet hébergement n'est ni pérenne, ni adapté et encore moins assorti d'un accompagnement, puisqu'ils n'ont pas vocation à y rester. En somme, l’hébergement dans lequel se maintient la famille n’est pas conforme aux dispositions des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles.
Le juge des référés du Conseil d'État estime que :
1) La famille fait partie sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables ;
2) L’État n'apporte aucun élément relatif à l'état actuel, dans le département des Alpes-Maritimes, des capacités d'hébergement, pas plus que le préfet des Alpes-Maritimes ne l'avait fait devant le premier juge ;
3) L'absence d'hébergement d'urgence constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée à l'État, qui peut entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour les enfants ;
4) La DIHAL ne produit aucun élément attestant que cet hébergement d'urgence serait maintenu jusqu'à ce qu'une proposition d'orientation vers une structure d'hébergement stable ou un logement adapté à leur situation leur soit faite, ni que serait repris, dans cette attente, l'accompagnement social. Ainsi, la requête d'appel conserve son d'objet et n'en a pas été privée en cours d'instance, et l'urgence caractérisée par la situation justifiant que le juge des référés prenne sur le fondement de l'article L. 521-2 toute mesure nécessaire, n'a pas disparu.
Résultat :
L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice refusant de faire droit à leurs conclusions tendant à ce qu'ils soient hébergés en urgence est annulée et il est enjoint à l'État de rétablir au bénéfice de la famille un hébergement d'urgence conforme aux dispositions des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles.
La famille peut ainsi rester, jusqu'à ce qu'une proposition d'orientation vers une structure d'hébergement stable ou un logement adapté à leur situation leur soit faite, à l'abri dans l'hôtel.
[1] On rappellera ce que disait R. BADINTER : « lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style, elle est la patrie de la déclaration des droits de l’homme, aller plus loin relève de la cécité historique. »
[2] https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/paris-2024/enquete-franceinfo-paris-2024-que-deviennent-les-migrants-envoyes-dans-des-sas-d-accueil-en-region-a-l-approche-de-la-competition_6340942.html
[3] Sur appel d’une familles que je défendais, le juge des référés du Conseil d’État, le 4 janvier 2023, a fait évoluer l’office du juge du référé liberté en matière d’hébergement d’urgence : le simple fait que l’administration octroie à l’audience un hébergement d’urgence ne suffit plus à cesser la caractérisation d’une carence caractérisée des autorités de l'État dans l'application des dispositions de l'article L. 345 2-2 du code de l'action sociale et des familles portant dès lors une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à l'hébergement d'urgences. Le juge est tenu de s’assurer que les personnes seront maintenues dans cet hébergement d'urgence conformément aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles (logement adapté, pérenne et accompagnement social) : CE, ordo., 4 janvier 2023, n°470063.
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