Un pas de plus pour l’hébergement d’urgence
L'avancée jurisprudentielle que j'ai obtenue le 4 janvier 2023, sur l'office du juge des référés en matière d'hébergement d'urgence concernant l'État (CE, ordo., 4 janvier 2023, n°470063) vient d'être transposée aux départements dans leur mission d'hébergement d'urgence des personnes relevant de leur compétence (CE, ordo., 3 décembre 2024, n° 498960)
Une situation de détresse humaine
Ma cliente, ressortissante ivoirienne, titulaire d’un titre de séjour pluriannuel a 2 enfants âgés de 2 et 4 ans dans la rue. Son fils de 2 ans est reconnu en situation d'handicap par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
La note sociale insistait sur l'absence d'hébergement, l'âge des enfants et l'état de santé son fils.
Malgré ce contexte d’extrême vulnérabilité portée à la connaissance de la Ville de Paris, la famille est toujours dans la rue et sans ressources financières.
Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d’hébergement d’urgence en affirmant :
« Qu’à la suite de ses appels, le service lui a trouvé à chaque fois une solution d’hébergement provisoire avant qu’elle n’ait été conduite à devoir le recontacter, et qu'il s’ensuit une forte probabilité pour qu’elle soit hébergée, elle et ses enfants, dans les meilleurs délais suite à ses sept derniers appels. »
Cependant, ma cliente n’avait jamais été hébergée.
Appel devant le Conseil d’État
J’ai interjeté appel pour défendre les intérêts de ma cliente et de ses deux enfants.
Devant le Conseil d’État, la Ville de Paris a argué que ma cliente relevait du SIAO 95, donc du département du Val-d’Oise. Toutefois, aucun élément probant n’a été versé au dossier, bien que le juge des référés ait accordé un délai pour produire des pièces justificatives.
Le Conseil d’État a relevé :
« Si la Ville de Paris soutient que la situation de Mme X et de ses enfants est désormais nécessairement suivie par les services sociaux du département du Val-d'Oise, aucune pièce versée au dossier de l’instruction, malgré la prolongation de celle-ci, ne permet de l’établir. »
À l’inverse, ma cliente avait apporté la preuve qu’elle était territorialement rattachée à la Ville de Paris grâce à sa domiciliation et aux appels qu’elle avait passés.
Une tentative de désengagement de la Ville de Paris
La Ville de Paris tentait ainsi de se délier de sa compétence, laissant ainsi une mère et ses deux enfants sans abri. Finalement, elle a été contrainte d’héberger la famille, mais cet hébergement n’avait aucun caractère pérenne, comme cela a déjà été le cas par le passé. En effet, il est déjà arrivé que la Ville de Paris héberge et remette à la rue des familles.
C'est la raison pour laquelle, le juge des référés du Conseil d'État a très clairement indiqué que :
« Si ont été produits des certificats d’hébergement faisant apparaître que, depuis le 15 novembre, Mme X et ses enfants ont été hébergés à la demande du Samusocial de Paris dans des structures hôtelières situées à Nanterre (Hauts-de-Seine) puis à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), il n’est pas établi que l’hébergement d’urgence ainsi accordé aurait un caractère pérenne. Dès lors, la requête d’appel de Mme X n’est pas dépourvue d’objet. »
Le Conseil d’État a donc enjoint à la Ville de Paris :
« De continuer à proposer, sans solution de continuité, à Mme X et à ses deux jeunes enfants un hébergement d’urgence conforme aux exigences rappelées au point 3, afin de les placer à l’abri et de leur fournir un soutien matériel et psychologique adéquat. »
Désormais, les départements doivent prouver le caractère pérenne de l'hébergement et fournir un soutien matériel et psychologique adéquat.
Un précédent qui se répète
Le 9 décembre 2024 soit 6 jours après sa condamnation, la Ville de Paris a tenté une nouvelle fois de se désengager de sa compétence en soutenant que ma cliente, une femme seule avec ses trois enfants âgés de 1, 6 et 8 ans, relevait cette fois-ci du département de l’Essonne.
Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté l’argument de la Ville de Paris et l’a condamnée à héberger Mme N. et ses trois enfants dans un délai de 48 heures. Il a notamment relevé :
« En l’espèce, il résulte de l’instruction, notamment de l’attestation de l’association Aurore du 9 décembre 2024 et des déclarations précises de la requérante à l’audience, que Mme N. vit à la rue à Paris avec ses enfants nés en 2016, 2018 et 2023 et qu’elle est administrativement domiciliée auprès de cette association située à Paris. Elle fait valoir, sans être contredite sur ce point par le défendeur, qu’elle a quitté il y a plusieurs semaines l’hébergement dont elle avait disposé en Essonne dans le cadre de sa demande d’asile désormais clôturée. La requérante indique à l’audience que si deux de ses enfants sont encore scolarisés dans ce département, elle doit s’organiser depuis Paris pour qu’ils puissent aller en cours. »
Le juge des référés a constaté l’absence d’éléments probants de la part de la Ville de Paris pour démontrer que Mme N. résidait toujours en Essonne ou qu’un hébergement y aurait pu lui être proposé. Dès lors, il a jugé que :
« L’absence d’hébergement d’urgence constitue, pour la requérante et ses trois enfants, dans les circonstances de l’espèce et en l’état de l’instruction, une carence caractérisée dans l’accomplissement de la mission confiée à la Ville de Paris, pouvant entraîner des conséquences graves pour des enfants de cet âge ou leur mère. »
Le tribunal a ainsi qualifié cette carence comme une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (TA Paris, référé, 9 décembre 2024, n°2432311).
En l’espace de quelques jours, la Ville de Paris a offert au juge des référés du Conseil d’État et à celui du tribunal administratif de Paris l’occasion de rappeler fermement sa mission de service public : assurer l’hébergement d’urgence pérenne et adapté des personnes à la rue relevant de sa compétence territoriale.
Ces rappels soulignent que la Ville de Paris ne peut plus se contenter de fournir un hébergement temporaire uniquement pour démontrer, devant le juge, qu’elle satisfait à son obligation, avant de remettre les familles à la rue par la suite. Une telle pratique est incompatible avec les exigences du service public d’hébergement d’urgence, dont la continuité et la pérennité doivent primer pour protéger les plus vulnérables.
Bonjour,
Je vous remercie pour cette jurisprudence ! Pourriez-vous s'il vous plait clarifier la formulation du CE dans les deux affaires lorsqu'il écrit "Il est enjoint à l'Etat/le département de continuer à proposer, sans solution de continuité, un hébergement d'urgence". Qu'est ce que ça signifie exactement ? Pourquoi cette précision "sans solution de continuité" ? Y a-t-il une distinction entre la perenité et la continuité de l'hébergement ?
Je vous remercie,