Ma cliente est une ressortissante algérienne, présente depuis 2016 en France. Elle a certificat de résidence algérien de 10 ans valable jusqu'en 2028.
Alors qu’elle rentrait d’un voyage d’Algérie le 6 septembre 2022, une décision du ministre de l’Intérieur datée du même jour lui a retiré son certificat de résidence algérien de dix ans au motif qu’une fiche de recherche portant obligation de quitter le territoire français émise par la préfecture de police de Paris lui aurait été notifiée le 14 février 2020.
Le même jour, un refus d’entrée lui a consécutivement été notifié en main propre ainsi qu’un placement en zone d’attente à Orly.
Elle avait 24h pour saisir un juge, sans quoi elle repartait en Algérie le lendemain.
Imaginez-vous, vous rentrez de vacances et à la frontière française, on vous dit "non, rentrez chez vous ». Sauf que chez vous, c'est en France.
Je saisis le juge des référés, pour demander sa libération de zone d’attente, qui considère que les décisions du 10 février 2020 retirant le certificat de résidence de dix ans dont ma cliente bénéficiait et lui faisant obligation de quitter le territoire français, ne pouvaient être regardées comme lui ayant été régulièrement notifiées et donc ne lui étaient pas opposables le 6 septembre 2022, plus de deux ans et demi après, à l’occasion de son retour en France [1].
Le 8 septembre 2022 à 9h00, elle a donc été libérée de zone d’attente et munie d’un visa de 8 jours.
Mais elle n'avait toujours pas son certificat de résidence algérien de 10 ans.
Entre temps, entre l'absence (récurrente) de délivrance de récépissés, le refus de restitution, l'arrêté du 10 février 2020, pas moins de 14 saisines du juge auront été nécessaires.
J’ai donc demandé donc, pour ses intérêts, l'annulation des décisions par lesquelles le ministre de l’intérieur lui a retiré son certificat de résidence de dix ans puis a refusé de lui restituer et, en même temps, je demande, par la voie de l'exception d'illégalité, l'annulation de l’arrêté du 10 février 2020 par lequel le préfet de police a retiré les certificats de résidence algérien qui lui avaient été délivrés, valables respectivement du 8 février 2017 au 7 février 2018 et du 8 février 2018 au 7 février 2028, l’avait obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Le 26 janvier 2024, le tribunal administratif de Paris jugé que :
l'arrêté du 10 février 2020 ne lui a jamais été régulièrement notifié ;
le délai de recours cet arrêté est le délai raisonnable d’un an à compter de la date à laquelle il est établi qu’elle en a eu connaissance. Or, elle a eu connaissance de l’arrêté du 10 février 2020 que le 7 septembre 2022, date à laquelle le tribunal lui a communiqué le mémoire, auquel il était joint, produit en défense par le ministère de l’intérieur le cadre du référé liberté zone d'attente.
Conséquence : le délai d’un an dont elle disposait pour exercer un recours contre cette décision n’était pas expiré à la date du 7 septembre 2023 à laquelle sa requête a été enregistrée.
Il était donc possible d’exciper l’illégalité de l’arrêté du 10 février 2020.
L’examen de la légalité de cet arrêté a permis de constater que :
le 16 avril 2018, soit postérieurement, ma cliente avait été contrainte de quitter le domicile conjugal pour échapper aux violences physiques, sexuelles et psychologiques que lui faisaient subir son conjoint et ses beaux-parents (elle a eu 20 jours d’incapacité temporaire de travail – ITT) et en raison desquelles elle a porté plainte le même jour à la police qui l’a immédiatement orientée vers une association spécialisée dans la prise en charge des femmes qui l’a alors hébergée et accompagnée socialement, psychologiquement et juridiquement (c'est d'ailleurs, par cette plainte, que le préfet de police avait appris la fin de la communauté de vie : le contexte de la fin de la communauté de vie ne l'a pas empêché de notifié un retrait de certificat de résidence)
le tribunal en Algérie avait prononcé, sur demande de son conjoint, leur divorce début 2019 et a condamné son conjoint à verser à ma cliente, une indemnité pour avoir abusé de son droit de divorce ;
"Le préfet de police n’apporte pas la preuve que Mme D. n’aurait contracté le mariage que dans un but migratoire. Aucun dispositif de retrait du certificat de résidence légalement délivré en cas de modification de situation familiale n’étant prévu, le fait pour la requérante d’avoir voulu ultérieurement conserver le bénéfice de son titre de séjour alors que sa situation familiale avait changé ne peut lui être reproché. Il résulte de ce qui précède que le préfet n’apporte pas la preuve du caractère frauduleux de l’obtention des certificats de résidence par la requérante, qui est dès lors fondée à soutenir, pour ce motif, que les décisions de retrait de ses certificats de résidence et, par voie de conséquence, l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination, privées de base légale, sont illégales. »
Sur la rétention du certificat de résidence à l'aéroport et le refus de restitution dudit certificat à sa sortie de zone d'attente, le tribunal administratif de Paris a estimé que :
"Il ressort des pièces du dossier que, pour le même motif que celui exposé ci-dessus au point 4, à la date du 6 septembre 2023 à laquelle la police aux frontières a procédé à la rétention du certificat de résidence de dix ans valable jusqu’au 7 février 2028 qui avait été délivré à Mme D., en exécution de l’arrêté du 10 février 2020 par lequel le préfet de police a décidé le retrait de ce titre, cet arrêté ne lui avait pas été régulièrement notifié et elle en ignorait l’existence, qui lui a été révélée par le procès-verbal du 6 septembre 2023 portant information au porteur du retrait du document qui le mentionne et dont une copie ne lui a été communiquée que le lendemain 7 septembre 2023 avec le mémoire, auquel il était joint, produit en défense par le ministère de l’intérieur dans les instances n° 2218728 et n° 2218730. Dès lors, en demandant l’annulation des décisions du ministre de l’intérieur des 6 et 7 septembre 2022 de lui retirer et de refuser de lui restituer ce certificat de résidence, Mme D. doit être regardée comme demandant l’annulation de cet arrêté, révélé par le procès-verbal du 6 septembre 2022. Cet arrêté constitue une décision administrative faisant grief susceptible de recours et la circonstance qu’elle a été exécutée avant l’introduction de la requête n’est pas de nature à avoir privé celle-ci d’objet avant même son introduction. Dès lors, les fins de non-recevoir tirées de l’irrecevabilité de la requête en raison de la nature de l’acte attaqué et de la disparition de son objet avant son introduction doivent être écartées."
La défense du ministre de l'Intérieur est pleinement écartée.
Le tribunal administratif de Paris a ainsi annulé l'arrêté du préfet de police du 10 février 2020, l'a enjoint de restituer à ma cliente le certificat de résidence algérien de dix ans qui lui a été retiré, valable jusqu’au 7 février 2028, dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte 50 euros par jour s’il n’est pas justifié de l’exécution du jugement dans un délai d'un mois.
Fait rare pour être souligné : il est également enjoint au préfet de police de communiquer au tribunal la copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le jugement.
Une telle configuration contentieuse ne s’était, jusqu’à présent, pas présentée.
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