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Triple condamnation : quand l'OFII fait du zèle pour s'abstenir d'exécuter des décisions de justice

C’est l’histoire d’une administration (l'Office français de l'immigration et de l'intégration) qui, dans le même dossier, se fait condamner 3 fois :

 

  • une première fois pour avoir laissé un nourrisson de 5 mois (ayant une maladie complexe) en demande d’asile, accompagné de ses parents dans la rue, et pour ne pas leur avoir versé l’allocation pour demandeur d’asile à laquelle ils ont droit ;

 

  • Une deuxième fois pour avoir continué de laisser la famille dans la rue malgré la condamnation du premier juge à les héberger et à leur verser l’allocation sous 48h ;

 

  • Une troisième fois pour s’être abstenu de verser, pendant 6 mois, l’allocation pour demandeur d’asile malgré les 2 injonctions très claires des 2 premiers juges en ce sens.

 

L’OFII est tellement habitué à laisser des enfants dans la rue et à s’abstenir de verser l’allocation pour demandeur d’asile que, lorsqu’elle se fait condamner à les héberger et à leur verser l’allocation, il se dit que le droit est superflu.


Que s’est-il passé ?

 

Un nourrisson de 5 mois dépose, par le biais de ses parents, une demande d'asile le 30 octobre 2023. Classiquement, l'OFII s’abstient de les héberger et de leur donner l'allocation pour demandeur d'asile. La famille vivait littéralement dans la rue et sans ressource, dans la plus grande et habituelle indifférence de l’OFII.

 

Je suis saisi du dossier et, dans la journée, je saisis le juge des référés du tribunal administratif de Paris pour mettre fin à cette situation d’inhumanité.

 

Par une ordonnance du 11 janvier 2024 [1], j'obtiens devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris la condamnation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) à octroyer les conditions matérielles d'accueil (un hébergement et l'allocation pour demandeur d'asile) à un nourrisson de 5 mois ayant une maladie complexe et à ses parents, dans les plus brefs délais. Le juge des référés indiquait au surplus que l'hébergement devait être en région Île-de-France au regard du suivi médical de l'enfant.

 

La condamnation était très claire :

 

« Il résulte de l’instruction, et n’est pas sérieusement contesté, que le jeune C , ressortissant , âgé de 5 mois, demandeur d’asile depuis le 31 octobre 2023, d’après les certificats médicaux produits, en date des 28 novembre 2023 et 8 janvier 2024, présente une maladie complexe nécessitant une prise en charge rapide et spécialisée à l’hôpital pour enfant Necker de Paris, afin de préserver son pronostic visuel, et bénéficie d’un accompagnement social dont le dernier rapport, en date du 9 janvier 2024, fait état de ce que « la famille est toujours sans solution d’hébergement et alterne rue et courts séjours au 115 » et de ce qu’à la date dudit rapport « aucune proposition n’a été faite à la famille ». Or aucune pièce du dossier n’établit que cet enfant et ses parents auraient été récemment mis à l’abri, la fiche des appels réguliers au 115 mentionnant une absence récurrente de prise en charge, faute de place. De plus, les parents de l’enfant font valoir, sans être sérieusement contredits, qu’ils ne disposent actuellement d’aucune ressource ni d’aucun hébergement. Ainsi l’OFII, en s’abstenant de verser au jeune C l’allocation pour demandeur d’asile et de lui proposer un hébergement d’urgence en région Ile-de-France, compte tenu des contraintes médicales de l’enfant, alors que la famille est vulnérable, dans une saison hivernale particulièrement froide, doit être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, notamment au droit d’asile. 

 

(...)

Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, au titre des conditions matérielles d’accueil dont bénéficie le jeune C. de proposer à Mme H. et M. V un hébergement pour eux et leur enfant mineur, en région Ile- de-France, et d’octroyer l’allocation pour demandeur d’asile, par la délivrance de la carte prévue à l’article D. 553-18 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans les plus bref délais, à compter de la notification de la présente ordonnance

 

L'OFII s'abstient d'exécuter l'ordonnance et n'héberge pas la famille ni ne verse l’allocation pour demandeur d’asile.

 

La famille étant dans la rue, je ressaisis en urgence le juge des référés qui, par une ordonnance du 18 janvier 2024 [2], enjoint à l’OFII d’exécuter la première ordonnance et donc de proposer à la famille un hébergement en région Île-de-France et d’octroyer l’allocation pour demandeur d’asile dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l’ordonnance sous astreinte de 100 euros par jour de retard (somme que l’OFII devra payer par jour d’inexécution).

 

L'OFII héberge la famille.

 

Or, 6 mois après, la famille n'a toujours pas reçu l'allocation pour demandeur d'asile.

 

Je ressaisis le juge des référés pour que l’ordonnance du 18 janvier 2024 soit exécutée et donc qu’il soit enjoint à l’OFII de verser l’allocation pour demandeur d’asile sous astreinte, cette fois-ci, de 200 euros par jour de retard.

 

L’OFII m’envoie, le jour de l’audience, un mail intitulé « relance » (alors que c’est la première fois que les services de l’OFII m’écrivent pour ce dossier) me demandant un RIB de la famille. J'obtiens par ailleurs, une attestation du travailleur social permettant de prouver que l'OFII, contrairement à ce qu'il indiquait, n'a jamais demandé de RIB à la famille. Au surplus, l'OFII se permet, dans son mémoire en défense, d'évoquer le "devoir de conseil loyal" entre l'avocat et son client pour venir dire que j'aurais dû contacter l'OFII et fournir le RIB de ses clients. L'OFII pense donc que je travaille pour eux et que c'est donc à moi qu'il revient d'exécuter les décisions de justice auxquelles il est condamné.

 

Par une ordonnance du 16 août 2024, le juge des référés constate que :

 

« Par une ordonnance n° 2400533 du 11 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, enjoint à l’Office français pour l’intégration et l’immigration d’octroyer au titre des conditions matérielles d’accueil dans les brefs délais, à compter de la notification de l’ordonnance un hébergement à Mme Koné, à M. Cissé et à leur enfant mineur, l’allocation pour demandeur d’asile et la délivrance de la carte prévue à l’article D.553.-18 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Par une ordonnance n° 2401039 du 18 janvier 2024, le juge des référés du même tribunal, saisi en application des dispositions de l’article L. 521-4 du code de justice administrative a assorti l’injonction prononcée à l’article 1er de l’ordonnance n° 2400533 du 11 janvier 2024, d’un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l’ordonnance et d’une astreinte de 100 euros par jour de retard.

 

Il ressort des pièces du dossier, qu’à la date de la présente ordonnance, si Mme Koné et M. Cissé et leur enfant mineur bénéficient d’un hébergement dans le département des Yvelines depuis le 25 janvier 2024, ils ne perçoivent pas l’allocation pour demandeur d’asile et ne disposent d’aucune ressource. Pour justifier de cette situation, l’OFII fait valoir qu’un document leur a été remis en mains propres le 22 janvier 2024 leur demandant notamment la communication d’un relevé d’identité bancaire pour pouvoir procéder au paiement de l’ADA, qu’ils n’ont pas transmis et que les requérants pouvaient faire appel, en cas de difficultés à des travailleurs sociaux. Toutefois, l’OFII ne saurait par cette simple allégation s’exonérer de son obligation d’exécution des ordonnances du tribunal des 11 et 18 janvier 2024 dès lors que ledit document se borne à lister en les cochant une série de pièces à fournir sans autre précision et qu’en outre, l’OFII n’établit pas avoir engagé ou entamé une procédure afin de procéder au paiement de l’allocation aux intéressés. Il suit de là, qu’à la date de la présente ordonnance, l’exécution de l’ordonnance n° 2400533 du 11 janvier 2024 modifiée par l’ordonnance n° 2401039 du 18 janvier 2024, n’est pas complète. Par suite, il y a lieu d’enjoindre à l’OFII de procéder au versement aux requérants, de l’allocation pour demandeur d’asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. »

 

Voilà le parcours un exemple, parmi tant d’autres, d’une administration qui s’est tellement affranchit du droit qu’elle se permet de ne pas respecter des décisions de justice.

 

L'OFII versera donc l’allocation pour demandeur d’asile et ce, à titre rétroactif depuis la première ordonnance (11 janvier 2024).



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